L’Union Régionale des Professionnels de Santé

Section Orthophonistes de Guadeloupe

EXERCER EN GUADELOUPE

J’aimerais bien, moi aussi, ne travailler que deux jours par semaine et passer le reste de mon temps sur une plage ou un voilier, au soleil de mon île bien-aimée.

J’aimerais bien, moi aussi, passer deux mois en Martinique, puis en Guyane, à Tahiti, à la Réunion ou en Nouvelle Calédonie, et faire un petit tour
du monde, sans responsabilité, sans attache.

J’aimerais bien, moi aussi, vivre d’amour, d’eau fraîche et de quelques AMO facilement gagnés ; après tout, les retards de parole et autres troubles articulatoires sont faits pour cela, non ?

J’aimerais bien, mais je ne peux pas ! Je ne suis pas médecin, avec des patients interchangeables ; je ne suis pas kiné, je ne rééduque pas
des muscles et des articulations ! Je suis orthophoniste, je travaille avec des humains qui ont besoin de mon empathie, des gens qui demandent que j’écoute et que je soulage leur souffrance et leurs angoisses, des personnes qui attendent de moi que je m’investisse dans une relation qui commence par un coup de fil et se termine par un regard confiant vers l’avenir.

Je donne de mon temps, de ma personne, de mon énergie et de mes émotions pour respecter le contrat que je signe moralement avec un patient
et sa famille. Et ce contrat stipule :

– que je considérerai ces patients dans leur intégrité physique, intellectuelle et culturelle, et non en ne voyant en eux qu’un moyen pour payer mes prochaines vacances ;

– que je m’investirai autant de temps que nécessaire pour restaurer, améliorer ou construire mot par mot, phrase par phrase, par pictogramme,
la communication et donc le rapport au monde de chaque patient qui m’est confié ;

– que je créerai avec eux un climat de confiance, une confiance qui ne se gagne souvent sur du long terme, et en étant sérieux, régulier et honnête.

Je ne remets pas en question la libre circulation des personnes, ni le droit de travailler où bon vous semble ; je dénonce un état d’esprit,
une insoutenable légèreté, une désinvolture qui nuit gravement à la qualité des soins.

Je suis orthophoniste, et je m’interdis de refuser un patient parce que sa prise en charge sera difficile et longue, ou parce qu’il est trop vieux,
ou parce qu’il ne parle que le créole. Le challenge fait partie du jeu, et si mon prochain patient vient de Pékin, j’apprendrai les rudiments du mandarin pour au moins le conseiller et l’orienter ! Je force le trait, bien sûr, mais dans le but de faire passer ce message : faites le tour du monde si vous en avez envie, mais ne prenez pas votre mission à la légère ; ne travaillez que quelques heures par an si vous considérez que cela répond à votre définition de la qualité de vie, mais ne passez pas à côté de ce jeu de séduction qu’est la communication : écouter et comprendre,
s’adapter et pourtant convaincre, et toujours partager …

Nous sommes orthophonistes, et nous faisons partie de la vie de toutes ces personnes avec qui nous créons du lien, un lien dont la qualité
et la durée resteront notre signature. Alors autant faire en sorte que ce lien soit fort, et non éphémère. Autant faire en sorte d’agir en professionnel, et non en dilettante. Il y aura toujours un miroir quelque part, qui nous renverra un reflet de nous-mêmes, dont nous devons être fiers.


Geneviève POMMIER